Une prise de sang pour diagnostiquer la maladie d’Alzheimer ? – 3 questions à Vincent Bouteloup
RetourVincent Bouteloup, doctorant en Epidémiologie au sein de l’équipe PHARes du BPH, et ses collaborateurs ont analysé la valeur prédictive d’un biomarqueur présent dans le sang, la protéine phospho-tau 217 (p-tau217), quantifiant la présence de plaques amyloïdes cérébrales responsables des lésions caractéristiques de la maladie d’Alzheimer.
A l’heure actuelle, la quantification de ces plaques pour la prise en charge clinique se fait essentiellement dans des centres spécialisés (comme les Centres Mémoire de Ressources et de Recherche), par l’analyse du liquide céphalo-rachidien obtenu par ponction lombaire.
Si le dosage de p-tau217 par une prise de sang prédit correctement la présence de plaques amyloïde dans le cerveau, alors cet examen rapide, sûr et peu invasif pourrait un jour remplacer la ponction lombaire en 1ère intention.
Ces travaux se montrent complémentaires de ceux de Lisa Le-Souarnec (doctorante dans l’équipe PHAres) qui a récemment publié un article sur la prédiction de ces plaques amyloïdes à partir de données obtenues lors d’une consultation clinique pour aider au diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer.
Après avoir présenté son travail au congrès international sur la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson (AD/PD) à Vienne le 4 avril 2025, nous avons posé quelques questions à Vincent Bouteloup.

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Quel est le point de départ de ce sujet de recherche ?
La littérature scientifique autour des marqueurs sanguins de la maladie d’Alzheimer s’est rapidement développée depuis quelques années. En parallèle, deux recommandations internationales récentes sur le diagnostic de la maladie d’Alzheimer ont été publiées, opposant une vision « biologique » de la maladie et une approche « clinico-biologique ». Cette dernière approche considère que l’interprétation des biomarqueurs de l’Alzheimer doit se faire au regard des symptômes du patient.
Dans ce contexte, mes directeurs de thèse Carole Dufouil et Vincent Planche ont proposé de regarder l’importance des aspects cliniques dans l’interprétation des marqueurs sanguins à partir des donnés de la cohorte MEMENTO.
Le biomarqueur ptau-217 apparaissait comme le meilleur candidat pour cette question.
En effet, depuis 3-4 ans la littérature scientifique a montré de très bonnes performances de ce marqueur, comparativement à d’autres marqueurs moins précis ciblant d’autres formes de cette protéine.
Nous avons eu l’opportunité de collaborer avec le Dr Nicolas Villain à l’Institut du Cerveau et de la Moelle (ICM),et le Pr Kaj Blennow de l’Université de Göteborg en Suède, pour procéder au dosage de ce marqueur chez les participants inclus dans l’étude MEMENTO.
Quels ont été les principaux défis rencontrés dans votre étude ?
Le 1er challenge a été de trouver une autre étude indépendante pour répliquer les analyses.
La réplication de résultats est un élément clé dans la production de données scientifiques et nécessaire pour appuyer la validité des résultats. Cela permet aussi de pouvoir viser une publication dans des revus plus prestigieuses, comme c’est le cas ici avec le JAMA Neurology.
Pour cette réplication nous avons utilisé les données de l’étude française BALTAZAR, promue par l’AP-HP, dont l’investigateur principal est le Pr Olivier Hanon.
Le deuxième challenge concerne la possible implémentation de ce marqueur sanguin en pratique clinique.
A ce jour, il renseigne sur la probabilité d’avoir ou non la maladie, mais l’interprétation des résultats n’est pas exacte à 100%. Dans notre travail, nous avons estimé deux valeurs seuil, une haute et une basse, ainsi qu’une bande intermédiaire pour laquelle on considère que les résultats ne sont pas concluants.
Nos résultats montrent que le ptau-217 est efficace surtout en présence de symptômes spécifiques, typiques ce ceux rencontrés chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. En l’absence de ces symptômes, notre étude montre que le risque de conclure à tort à la présence de plaques amyloïdes (les faux positifs) est très élevé.
En pratique, on ne souhaite pas traiter un patient sans s’assurer qu’il ou elle est bien malade. La mise en place d’un traitement n’est pas une décision anodine et peut avoir des conséquences importantes pour les patients et leurs entourages. L’EMA a par ailleurs donné récemment pour la 1ère fois son accord pour la commercialisation d’un traitement anti-amyloide, le lecanemab, sous certaines conditions..
Pouvez-vous expliquer le temps long de la recherche et les prochaines étapes
avant que cet examen soit accessible aux plus grands nombres ?
Le dosage des marqueurs de l’Alzheimer dans le sang existe depuis plusieurs années, mais ce n’est que récemment que les performances des kits de dosage ont atteint un niveau de précision suffisant pour envisager leur utilisation à large échelle. Ce qui a rendu le processus de développement de ces techniques de dosage aussi long, c’est d’une part la très faible concentration de ces biomarqueurs, on parle de quelques picogrammes par ml de sang, et d’autre part, contrairement au liquide céphalo-rachidien prélevé en ponction lombaire qui est relativement homogène, le sang transporte beaucoup d’éléments qui peuvent venir bruiter les mesures obtenues. Pour mesurer uniquement les marqueurs d’intérêt, il a fallu développer des méthodes de dosage très spécifiques et adaptées pour de très faibles quantités.
Dans MEMENTO, nous avons pu faire le dosage de certains marqueurs sanguins il y a quelques années, mais ce sont des opérations couteuses et qui mobilisent beaucoup de temps aux équipes de recherche.
La plupart des études qui publient dans le domaine de l’Alzheimer disposent maintenant de ces marqueurs, et il commence à y avoir de la littérature scientifique sur les mesures répétées en lien avec l’avancée de la maladie.
Néanmoins, selon moi, la question de l’utilité clinique n’est pas assez étudiée. Plusieurs publications proposent des schémas théoriques d’implémentation de ces marqueurs. Il faudrait réaliser des études scientifiques pour traiter spécifiquement la question de l’intérêt de ces marqueurs en pratique clinique, mais aussi leur viabilité économique pour, par exemple, une prise en charge par l’assurance maladie, car aujourd’hui tout cela reste hypothétique.
De mon côté je soumets ma thèse en fin d’année. Nous allons poursuivre notre collaboration avec l’ICM sur d’autres marqueurs complémentaires, et étudier l’intérêt des mesures répétées, toujours sur MEMENTO. Autant que possible, nous continuerons à collaborer avec d’autres équipes de recherche, comme cela a été le cas avec l’étude BALTAZAR.